L'Équipe Stormz explore les domaines de l'Intelligence Collective et son influence sur nos organisations à travers une série d'interviews d'experts venant de notre communauté de Facilitateurs. Aujourd'hui, nous accueillons Frédéric de Verville qui s'est récemment formé à l'outil Stormz et que nous avons rencontré lors d'un meetup de l'IAF où il avait animé un atelier sur les Liberating Structures. Sa posture et également la simplicité et la puissance de ses méthodologies nous avaient impressionné et nous avons souhaité le partager avec vous sous la forme d'un entretien.

Bonjour Frédéric, pourrais-tu brièvement te présenter et nous expliquer en quoi consistent les Liberating Structures ? 

J’ai un parcours multiple. J’ai commencé en tant qu’ingénieur dans les télécommunications, notamment sur le développement et la validation de systèmes puis pour des projets d'infrastructures mobiles en interactions avec une grande diversité de métiers. Par la suite, je me suis engagé professionnellement dans le théâtre et me suis retrouvé en charge de former des comédiens. Après quelques années, lorsque j’ai eu envie de retourner dans le monde de l’entreprise, j’ai assez naturellement intégré le milieu de la formation et commencé à me poser des questions propres à ce statut de formateur : comment garder les gens actifs ? comment faire en sorte que les gens produisent et créent ?

Je me suis donc orienté vers la facilitation, un métier absolument passionnant au service des besoins des clients. Les Liberating Structures ont été pour moi une incroyable découverte qui m’a vraiment permis de m’approprier ce nouveau métier. Cela m’a donné un nombre d’outils conséquent que j’ai pu expérimenter et mettre en application par moi-même. J’ai pu développer ma capacité de facilitateur grâce aux Liberating Structures tout en m’appuyant sur ma compétence de formateur et de comédien.

Les Liberating Structures sont très formalisées, c'est du clé-en-main. Les fiches décrivant les structures donnent beaucoup d’exemples et de possibilités : on t’indique les étapes, la situation de l’espace, le nombre de personnes par sous-groupe, etc. C’est un guide extrêmement utile pour préparer les ateliers ! Cela ne veut pas dire que l'on n’a pas la possibilité d’expérimenter des trucs par soi-même, mais il y a un cadre de départ qui donne de l’assurance : les deux inventeurs des Liberating Structures ont fait en sorte de faciliter au maximum leur prise en main.

Justement, qui a créé les Liberating Structures ? Est-ce qu’il y a un ouvrage, une aventure de référence ? 

Les Liberating Structures ont été créées par deux personnes : Henri Lipmanowicz, un Français qui a fait sa carrière aux Etats-Unis, notamment comme Président EMEA de Merck, et Keith McCandless qui vient du monde du conseil. Un jour ils ont été amenés à travailler ensemble pour animer un groupe de travail en Amérique du Sud et se sont fixé un objectif : mettre tout le monde, tous les niveaux hiérarchiques – y compris les clients – ensemble dans la salle, et faire en sorte que tout le monde puisse parler, se faire entendre, le tout dans un ensemble dynamique et ludique. Et ça a marché du feu de dieu !

C’est comme ça que ça a commencé. Ils ont peu à peu organisé d’autres séances de travail, en développant leurs propres outils, et en réfléchissant aux façons de diffuser ces pratiques. Un site internet, liberatingstructures.com, a été créé, avec toutes les informations nécessaires pour animer des ateliers. Puis ils ont publié un ouvrage, «The Surprising Power of Liberating Structures», un guide très complet qui montre bien les avantages et les bénéfices des Liberating Structures. L’ouvrage est très pratique ; il y a certes une partie contextuelle et quelque peu théorique, mais il contient aussi beaucoup d’explications concrètes, d’exemples, de réalisations, et de possibilités de chaînage entre les Liberating Structures. 

Peux-tu nous citer les principales méthodologies des Liberating Structures ? Comment influencent-elles une organisation ? 

C’est effectivement un ensemble de 35 pratiques. Une pratique de base, par exemple, le Troïka Consulting, permet de trouver des pistes de solutions dans un temps très restreint : chaque individu soulève une question et va être aidé, pour y répondre, par deux personnes. C’est donc très rythmé et cadencé. En trente minutes (10 minutes par personne), il est possible de trouver des pistes de solution pour les trois membres de la Troïka et donc, quelle que soit la taille de la salle, pour chaque individu présent. Cela met en exergue l’un des principes fondamentaux des Liberating Structures : le multi-tâche. Tout le monde travaille en même temps et est mobilisé d’une façon ou d’une autre.

Un autre exemple, relativement basique, mais fondamental des Liberating Structures, c’est la structure « 1-2-4-All » : pour traiter un sujet, les personnes sont réunies par groupe de quatre. Chaque personne réfléchit d’abord toute seule, puis partage ses réflexions à deux, à quatre puis – à travers un représentant du groupe – à toute la salle. Non seulement c’est plus facile pour les gens de s’exprimer, mais en plus chacun est concrètement engagé à le faire.

Sur un autre niveau, la structure Panarchy est l’une des Liberating Structures les plus complexes, notamment dans les données à traiter. On va s’intéresser à tout ce qui influence les projets qui nous concernent à la fois au-dessus et en-dessous de nous dans la hiérarchie de l’organisation.

Au-delà de ça, les notions de microstructures et de macrostructures sont très importantes : certaines structures sont inhérentes à une organisation (comme le capital, les immeubles, les personnes, les outils de production, etc.) : ce sont les macrostructures. Ensuite, nous avons les microstructures, liées aux modes et moyens d’interaction entre les gens, de la simple présentation en réunion aux discussions autour de la machine à café. L’idée fondamentale des Liberating Structures est d’ajouter plus de modes d’interactions en complément des microstructures usuelles existantes. interview liberating structures

Peut-on dire que c'est un ensemble de 35 microstructures qui cherchent à influencer des macrostructures ? Est-ce qu’elles peuvent être mobilisées dans le cadre d’une conduite du changement ?

Il y a effectivement cette idée de libérer et de débrider les modes de fonctionnement des organisations. C’est d'ailleurs tout l’objectif de l’intelligence collective et de la facilitation en général : comment faire en sorte que les interactions soient plus innovantes, libérées, diversifiées et créatives ? Comment faire sauter les verrous ? Stormz se trouve également dans cette logique puisque vous dynamisez les modes de travail en utilisant l’outil digital. Les Liberating Structures interviennent à deux niveaux : la libération des structures d’échange et, par effet induit, de la grande structure, l’organisation. 

Prenons l’exemple du Social Network Webbing, cela consiste à faire une cartographie des individus avec qui nous sommes en contact, ainsi que les possibilités d’interaction, ce qui peut être amélioré, renforcé, voire abandonné : en somme, il s’agit d’améliorer les liens qui existent dans une organisation. Mais cela peut également s’envisager vers l’extérieur : vers le client, ou même l’ensemble de l’écosystème. Il y aurait même la possibilité de faire des ateliers avec d’autres entreprises d’un écosystème pour réfléchir ensemble, même s’il y a toujours la possibilité d'être un peu en concurrence.

Pour revenir à cette idée de conduite de changement, les Liberating Structures peuvent être adoptées à tous les niveaux de l’organisation, avec, par exemple, des promoteurs internes ou des facilitateurs estampillés. C’est pour cela qu’elles peuvent être virales et se répandre rapidement si les gens se rendent compte que de tels modes de fonctionnement marchent bien. La compétence se développe en interne, d’autant plus qu’elles sont utilisables sans droits à payer.

Il n’y a pas de certification nécessaire : c’est du Creative Commons ! Elles sont seulement protégées de toute tentative de commercialisation ou d’appropriation. La seule obligation en cas d’utilisation, c’est de dire que ce sont des Liberating Structures et d'indiquer leur origine. Elles peuvent donc rapidement devenir autonomes et se développer à l’intérieur d’une organisation sans grande contrainte. La conduite du changement passe par là : une libération et une fluidification à travers l’écoute, la responsabilisation et l’autonomisation de tout le monde.

Pour libérer une structure, faut-il une équipe de facilitateurs ou plutôt que tout le monde soit facilitateur ?

L’objectif des Liberating Structures n’est pas tant de libérer les organisations que de faire en sorte que le travail collectif soit plus innovant, performant et efficace. Pour que ces pratiques se diffusent, il faut évidemment faire en sorte que le plus grand nombre de personnes possibles, à tous les niveaux, se forment à l’animation de Liberating Structures. c’est une approche virale.

D’ailleurs, pour avoir une « entreprise libérée », il faut un chef bienveillant et charismatique qui ait la capacité de générer cette démarche. En caricaturant un peu, on pourrait dire que la décision d’entreprise libérée doit s’effectuer en top-down, car c’est compliqué pour une entité particulière d’adopter cette démarche du jour au lendemain. Au contraire, les Liberating Structures peuvent arriver en bottom-up à n’importe quel niveau.

Le facilitateur intervient à deux niveaux : au niveau de la préparation, pour identifier l’objectif et l’intention d’une séance de travail et ensuite, bien sûr, au niveau de la facilitation. L’objectif du facilitateur est de bien définir l’objectif, de questionner les commanditaires et de bien comprendre leurs besoins et leurs intentions. Une fois que l’on a ce schéma avec un objectif et des sous-objectifs, il faudra réfléchir à la meilleure façon de traiter le problème et créer une série de plusieurs Liberating Structures, enchaînées et reliées les unes aux autres. Par exemple, je peux générer un ensemble d'objectifs de solutions grâce à un TRIZ; puis je pourrais utiliser un « W.3 » qui se fonde sur plusieurs questions (« What ? », « So What ? », « Now What ? »), pour faire parler chaque personne dans les sous-groupes, favoriser l’écoute réciproque et faire éclore les scénarios d'actions.

Quoi qu'il en soit, le facilitateur a une posture basse, au niveau du contenu (a priori, ce sont les gens du groupe qui ont les connaissances), mais haute au niveau de la structure. Le rôle du facilitateur in situ est de cadencer la structure, de bien se faire entendre, d’être visible et d’être à l’écoute de ce qui se passe.

Jean-Michel Gode nous disait que l’Holacratie se concentrait sur le processus plutôt que sur les égos. Est-ce le cas des Liberating Structures ?

Effectivement, il y a des similitudes. Les Liberating Structures doivent faire en sorte que les résultats soient propices à l'organisation, mais ce n’est en réalité pas vraiment de la responsabilité du facilitateur. Il doit faire en sorte que l’animation se passe bien pour que les ateliers puissent cheminer vers un résultat, mais vers quoi exactement, on ne sait pas. En revanche, contrairement à l’Holacratie, où les périmètres des rôles et domaines d'intervention sont rigoureusement définis, avec les Liberating Structures, si un intervenant souhaite exprimer son point de vue sur un sujet qui n’est a priori pas de son ressort, il le peut. C’est complètement ouvert. Le seul aspect qui puisse être contraignant, c’est la cadence, elle, très rigoureuse. Les Liberating Structures se fondent en effet sur l’idée selon laquelle un timing très rigoureux est plus à même de faire émerger de nouvelles choses que des réunions sans structuration du temps.

Les Liberating Structures peuvent-elles s’articuler avec les pratiques Agiles ?

Nous nous sommes rendu compte que les personnes qui pratiquent la méthode agile sont très intéressées par les Liberating Structures en Europe. La caractéristique des méthodes agiles est de fournir des modes de fonctionnement en cycles courts, comme les sprints ou les rétrospectives, qui permettent de définir la cadence du projet, grâce notamment au feedback des clients internes ou externes. Les Liberating Structures fonctionnent très bien avec cette intégration du client final et l'objectif de faire produire le maximum d’éléments en un temps limité. De plus, la méthode agile donne lieu à des rendez-vous et des réunions dont la forme n'est pas spécifiquement prévue, il n’y a pas de canevas d'animation derrière. Il y a donc le risque que, lorsque tout le monde se retrouve autour de la table, cela redevienne une réunion lambda. Si l’on intègre des Liberating Structures, cela peut apporter beaucoup de diversité dans les approches et permettra au collectif de véritablement bien fonctionner. Les Liberating Structures peuvent vraiment donner vie et formes aux différents rendez-vous agiles

Penses-tu que l’outil Stormz et les Liberating Structures soient compatibles ?

Les combiner est évidemment quelque chose que je souhaite faire. Il y a des choses dans Stormz qui peuvent être en concurrence avec certaines Liberating Structures. Mais l’outil peut également apporter une valeur-ajoutée : je pense par exemple aux quizz que j’aurais du mal à imaginer avec les Liberating Structures seules, les balades collaboratives et, plus généralement, tout ce qui a trait à la facilitation à distance. En cela, Stormz pourra augmenter le potentiel d’une séance de travail. Organiser un TRIZ avec Stormz, permettra de récupérer toutes les idées, de les retravailler et de les collecter même en très grands groupes. La technologie présente un clair avantage de consolidation et réutilisation des informations si l’on compare à l’utilisation de simples paperboards – qui ont par ailleurs leurs avantages propres. D’ailleurs, je pense que les avantages du numérique apportés par Stormz, pourrait permettre aux Liberating Structures d’être plus adaptées justement aux besoin des équipes agiles qui sont plus souvent distantes, nomades et connectées.

De façon plus générale il y a de toutes manières un réel avantage à alterner les outils pour mobiliser les participants d'un groupe de travail en fonction du contexte et de leur énergie.

Comment faire pour se former aux Liberating Structures ? 

La première chose serait de visiter les deux principaux sites : liberatingstructures.com, le site internet de référence comportant beaucoup d’informations, les descriptions de toutes les structures, les modes d’organisation ; et liberatingstructures.fr, le site en français un peu moins nourri que le site anglais mais dont le contenu tout en français a été revalidé par Henri Lipmanowicz. Ensuite, l’ouvrage dont j’ai parlé contient énormément d’informations. Il y a également une application gratuite, disponible sur IOS et Android, en français et en anglais.

Enfin, In Exelcis organise des journées de formation pour ceux qui le souhaitent. Très prochainement, il y aura d'ailleurs un atelier de deux jours à Paris le 15 et 16 novembre pour permettre à chacun de se former, de découvrir et d'expérimenter les Liberating Structures.

Cette interview est finie, n'hésitez pas à venir sur notre groupe Facebook pour en discuter tous ensemble ! Voyez-vous des usages pour les Liberatings Structures dans votre pratique de facilitateur ou pour votre organisation. S'il y a d'autres sujets que vous souhaiteriez que l'on explore, ou des personnes qu'il faut absolument que l'on interroge, notre porte est ouverte :)